lundi 7 mai 2012

PROPHÈTES ET PHILOSOPHES 5. LE DEUTÉRONOME, SCÈNE-FICTION DE L'ALLIANCE

 1. Dans le nouveau paradigme, c'est donc le Deutéronome, parmi les onze premiers livres de la Bible, le premier texte écrit. Il se distin­gue assez nettement des autres, qui sont des séries de ré­cits (sauf le Lévitique): ils seront rajoutés au Deutéronome, les uns après lui, les autres avant. Mais lui, ce n'est pas un récit, c'est une large scène discursive.

Une scène discursive
2. Regardons-le dans sa structure. Les chap. 1-30 se présen­tent comme l'ensemble de trois discours de Moïse au peuple d'Is­raël, dans le pays de Moab, au-delà du Jourdain, c’est-à-dire avant l'entrée au pays de Canaan que racontera le livre suivant, celui de Josué. Les 4 derniers chapitres (31-34) font le récit de l'institu­tion du même Josué en tant que successeur de Moïse à la tête du peuple et de la mort de Moïse. Les trois discours sont de très iné­gale dimen­sion, le deuxième occupant 24 chapitres, alors que le premier ne comporte que 4 et le troisième 2. On tient pour acquis d'habitude chez les exégètes que ces deux discours sont d'une deu­xième main rédactrice, postérieure à la prise de Jérusa­lem et à la fin de la mo­narchie en 587 (6. 21): en effet, on peut y lire sans difficulté l'an­nonce de l'exil et du retour (4,25-31, 29,21-30,5). Pour ce qui est des derniers chapitres (31-34), on peut voir en eux le raccord avec la suite des livres suivants (de Josué aux Rois), racontant l'histoire d'Israël dès son entrée en Palestine jus­qu'à l'exil, qu'ils aient été écrits tout de suite ou peu après le se­cond discours. C'est donc celui-ci qui nous retiendra comme le noyau structurel du texte. Mais, à n'en lire que les ver­sions fran­çaises, on peut aussi es­timer qu'il y a quelques ajouts postérieurs: notamment les chapitres 9 (commençant par "Écoute, Israël", comme au tout début, en 5,1) et 10, avec le rappel du récit d'Ex 32 sur l'incrédulité concernant le veau de métal fondu, la brisure des tables de la loi par Moïse et l'irritation de Yahvé voulant ex­terminer le peuple, avec les thèmes de la nuque raide (que l'on ne trouve qu'ici et en 31,27) et de la cir­concision du cœur, qui relèvent de Jérémie (4,4 et 9,4); peut-être aussi 6,4-13 (ou 6,4-19?), débutant aussi par "Écoute, Israël", 11,26-32, débu­tant par un équivalent "Voyez" et qui fait signe vers 27,11sv, le­quel chap. 27 contient aussi des entorses à la linéarité du dis­cours (27,1,9,11). Enfin, je proposerais encore que le début de cette première rédaction soit les vv. 1 et 5 du chap.1, à quoi se sui­vrait donc: 5,1-6,3, 6,14-8,20, 11,1-25, 12 à 26, et enfin 28, dont le dernier verset clôt l'ensemble en reprenant 1,1 et 5,1.
3. Ainsi réduit, le discours « au pays de Moab » a une très grande unité: il est en­tiè­rement bâti au­tour de la loi que Yahvé donne au peuple d'Is­raël à travers Moïse. Mais on peut y distinguer plusieurs sec­tions: l'entrée (1,1 et 5 plus 5,1); un récit d’abord, celui de l'octroi du Décalo­gue à l'Horeb[1] (5,2-22) et de l'emplacement de Moïse comme inter­médiaire entre Yahvé et le peuple (5,23-31); ensuite l'injonction à garder et mettre en pra­tique les lois de Yahvé dans le pays où ils vont entrer (5,32 à 11,25); puis l'ensemble des lois en deux sections (12-18, 19-25) avec une double conclusion (26,1-15 et 26,16-19, 28,1-68); enfin la sortie (28,69).

Entre Yahvé et le peuple, Moïse
4. Laissons l'entrée et la sortie pour le final de cette lecture, et prenons d'abord le récit concernant l'Horeb. Commençons par le re­pérage du jeu des pronoms. Les versets 2-3 opposent "Yahvé, notre Dieu" à "nous", c’est-à-dire, Moïse et le peuple. Mais le v. 4 fait in­tervenir un "vous" du peuple - "sur la montagne, au milieu du feu, Yahvé vous a parlé face à face" - dégageant le "moi" de Moïse dans le verset 5: "et moi je me tenais alors entre Yahvé et vous pour vous faire connaître la parole de Yahvé". La raison pour laquelle il faut quelqu'un "entre" Yahvé et le peuple est donnée tout de suite et détaillée aux versets 23-31: "(...) est-il en effet un être de chair qui puisse rester en vie, après avoir en­tendu comme nous la voix du Dieu vivant parlant du milieu du feu? Toi, approche pour enten­dre tout ce que dira Yahvé notre Dieu, puis tu nous répéteras ce que Yahvé notre Dieu t'aura dit; nous l'écouterons et le mettrons en pratique". Yahvé approuve cette réponse et l'entérine: qu'ils aillent à leurs tentes, "mais toi, tu te retiendras ici auprès de moi, je te di­rai tous les commande­ments, les lois et les coutumes que tu leur en­seigneras et qu'ils mettront en pratique dans le pays que je leur donne".
5. La voix qui parle du feu et la peur de mort qu'elle provo­que marque la séparation de Yahvé par rapport au peuple de chair. Ce­lui-ci vient d'en faire l'expérience, car le Décalogue a été dit di­rec­tement au peuple: "telles sont les paroles que vous adressa Yahvé quand vous étiez tous assemblés sur la montagne. Il vous parla du milieu du feu, dans la nuée et les ténèbres, d'une voix forte. Il n'y ajouta rien et les écrivit sur deux tables de pierre qu'il me donna" (v.22). Cette dernière remarque sépare aussi le Décalogue de l'en­semble de lois des chapitres 12-25: cel­les-ci n'ont point été dites di­rectement au peuple ni écrites par Yahvé sur la pierre, mais transmises, comme seconde loi, comme deutéronomie, par Moïse[2]. Elles seront écrites, elles aussi, "dans ce livre" (28,58) - qui sera à lire solennellement tous les 7 ans (31,9-13) - copiées dans un rou­leau par le roi (17,18-19), écrites encore sur les poteaux et les por­tes de la maison de chaque is­raélite (11,20-21). On y revien­dra.

Les dix Paroles et le droit
6. Les dix Paroles (Décalogue, en grec)[3] n'ont pas toutes le même statut, le jeu de l'énonciation des pronoms le montre ai­­ment. Les vv. 6-10 opposent le "je" de Yahvé et le "tu" du peu­ple, les vv. 17-21 ne présentent que le "tu", tandis que les vv. 11-16 opposent "Yahvé ton Dieu" (à statut de 'il') au "tu", ce tutoie­ment du destinataire étant donc la seule marque commune à l'en­semble. Mais il y a d'autres diffé­rences, au niveau de l'énoncé: tandis que les 5 ver­sets de la fin, justement ceux que nous avons utilisés dans la des­cription de l'économie des maisons entre voi­sins (3.17), sont lapi­daires dans sa brièveté (aussi le v. 7, mais avec le "moi" de l'énonciation divine), les autres développent des raisons explica­ti­ves, si l'on peut dire, de l'énoncé normatif. Ce qui me semble devoir être interprété, dans la logique du paradigme récent, comme disant l'ancienneté traditionnelle, connue des des­tinatai­res du texte, des 5 derniers préceptes et la nouveauté que repré­sentent les 5 premiers (à entendre comme issus de l’écriture des prophètes): la théophanie s’y donne comme le référent du ‘je’. 
7. Or, d'une façon assez générale, on peut faire une équiva­lence entre les 5 premiers commandements du Décalogue et ceux des chapitres 12-18, d'une part (seuls les vv. 11 et 16 ne sem­blent pas y être repris), et entre les autres 5 et ceux des chapi­tres 19-25 (sauf le chap. 20, sur la guerre), qui s'occupent de l'homicide, du vol de terre par déplacement fautif des bornes traditionnelles, du té­moignage (chap. 19), de l'adultère (22,22sv), etc. Mais une autre différence doit être relevée entre le Décalogue et les lois de 12-25: le "tu" du premier est, certes, celui de l'en­semble du peuple qui écoute, mais chaque comman­dement (sauf le v. 6) a rapport à cha­que père de maison (qui doit l'apprendre à son fils, 6,20-25)[1], tan­dis qu'en 12-25 il s'agit plutôt de droit: il relève souvent du peuple (de ses chefs, de ses juges, de ses scribes); avec le "tu", il y aura des "vous" (12,2-12, 13,1, 14,1-21, etc.) et des "ils" de législation (19,4-6,11-12, 22,15-23, etc.). On pourra alors lire cette loi de Moïse au pays de Moab comme du droit qui développe la loi, pour ainsi dire fon­damentale, donnée à l'Horeb, et aussi privilégier les premiers 7 chapitres (12-18) comme une sorte de 'droit constitutionnel'[2] de la société monar­chique (avec son seul lieu de culte, sa législation cul­tuelle des sa­crifices et fêtes, ses dîmes, ses règles concernant les ju­ges, les rois, les prophètes, les prêtres lévites), donc comme mar­quant très nettement la réforme, au sens de l'activité prophétique, à y opérer, tandis que les au­tres 7 (19-25) relèvent du droit commun concernant l'arbitrage des conflits singu­liers, certes aussi important du point de vue des prophètes (notamment le 20, concernant la guerre), mais comportant probablement surtout du matériel légis­latif tradition­nel.

Le discours de l'alliance
8. Je viens d'invoquer les prophètes pré-deutéronomiques. C'est donc le moment de rappeler ce que j'ai proposé dans les deux chapitres précédents. Si l'on accepte cette économie géné­rale de la maison d'Israël, et bien aussi le paradigme selon lequel le Deutéro­nome est le premier grand texte hébreu, et qu'il est d'inspiration prophétique, alors on pourra commencer à évaluer ce qui se joue d'inédit dans ce vieux texte. a) Écrit vers les années 630, donc pres­que 4 siècles après la geste militaire de David - bâtissant, de façon inédite, une monarchie très forte en Palestine -, le texte crée la mise-en-scène d'un discours hors de la Palesti­­­­ne, sur sa frontière dans les routes des caravanes liant l'Égypte et la Mer Rouge à Da­mas[3]; c'est-à-dire, une scène hors l'espace-temps de la monar­chie de Juda de son époque. b) Dans cet espa­­­­ce-temps fictif, il place la maison d'Israël comme une as­semblée géante en face à face avec Moïse, les maisons étant ré­duites aux "familles" dans des tentes, donc sans leurs biens habi­tuels, no­tamment sans leurs terres, héritées de leurs ancêtres, sans leur activi­té économique quotidienne. c) Moïse tient un long dis­cours fonda­teur de la future maison d'Israël, dans son futur pays, au nom du Dieu du feu et à la voix forte de la mon­tagne de l'Horeb, écrivant sur la pierre la loi fondamentale et pres­crivant le droit à obser­ver dans cet avenir lointain, lequel Dieu a ainsi conclu une allian­ce avec ce peuple. d) Le discours, d'une part, rappelle un récit passé qui 'légitime' la parole de Yahvé, si l'on peut dire: soit celui de la sortie d'Égypte - "Je suis Yahvé ton Dieu, qui t'a fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude", c'est la première parole du Décalogue, et cette sortie de l'Égypte sera rap­pe­lée une tren­taine de fois -; soit celui de l'Horeb, de l'alliance - "ce n'est pas avec nos pères que Yahvé a conclu cette alliance mais avec nous, nous mêmes qui sommes ici aujourd'hui tous vivants" (6,3), et remar­quons que cette incise vaut autant pour la fiction (vv.4-5) que pour 'l'aujourd'hui' de la réforme de Josias lisant ce même discours (2 R 23, 1-3, qui se termine ainsi: "tout le peuple adhéra à l'allian­ce") -; et d'autre part, il remplit cet 'aujourd'hui' de son énonciation fictive par le futur (en français) de la ma­jorité de ses verbes (dès "tu n'auras pas", "tu ne feras pas", "tu ne te prosterneras pas" de 5,7-9 jusqu'à "tu prélève­ras", "tu les mettras", "tu iras trouver" de 26,2-3); il rattache donc le passé évoqué au futur du "pays que je leur donne" (5,31) - expres­sion qui sera reprise aussi une tren­taine de fois - et de ce qu'il faut y faire: "tels sont les comman­dements, les lois et les coutumes que Yahvé votre Dieu a ordonné de vous en­seigner, afin que vous les mettiez en pratique dans le pays dont vous allez prendre posses­sion" (5,33), injonction qui reviendra une vingtaine de fois.

Le sanctuaire unique
9. Regardons maintenant le droit de Moab, et commençons par celui que nous appellerions aujourd'hui 'droit constitutionnel', celui des chap. 12-18. Il s'agit d'abord de faire bâtir un seul sanctuaire pour tout Israël, dans un lieu choisi par Yahvé lui-même. "Vous abolirez tous les lieux où les peuples que vous dé­possédez auront servi leurs Dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines, sur tout arbre verdoyant: vous démolirez leurs au­tels, briserez leurs stèles, abattrez leurs pieux sacrés, brûlerez au feu les images sculptées de leurs Dieux, et vous abolirez leur nom en ce lieu. A l'égard de Yahvé votre Dieu vous agirez d'autre sorte. Vous ne viendrez trouver Yahvé votre Dieu qu'au lieu choisi par lui, entre toutes vos tribus, pour y placer son nom et l'y faire habiter" (12,2-5). Dans ces 14 chapitres de droit, l'expression "lieu choisi par Yahvé" revient vingt fois, ce qui souligne bien l'importance majeure de ce commande­ment, duquel dépend la sé­curité d'Israël dans le pays: "Vous allez passer le Jourdain et de­meurer dans le pays que Yahvé votre Dieu vous donne en héri­tage; il vous établira à l'abri de tous vos ennemis alentour, et vous aurez une sûre demeure. C'est au lieu choisi par Yahvé votre Dieu pour y faire habiter son nom que vous apporterez tout ce que je vous prescris, vos holocaustes et vos sacrifices, vos dî­mes..." (12,10-11).
10. Quelle est la portée de ce sanctuaire unique? Remar­quons d'abord qu'il semble indépendant des traditions de l'Exode sur la Tente de Réunion (seule référence dans Dt, en 31,14-15), d'une part, qu'il s'oppose aux hauts lieux des Dieux des autres nations et à leurs images, d'autre part. Il représente donc une loi qui se rap­porte aux vv. 6-10 du Décalogue, à la primauté éviden­te de Yahvé dans tout ce discours et dans son scénario. Le sanc­tuaire unique n'est pas un thème des prophètes antérieurs: l'expression "le lieu choisi par Yahvé" n'appa­raît chez aucun d'eux, le Temple de Jérusalem n'a pas non plus (à la notable exception de la voca­tion d'Isaïe, Is 6) de rôle majeur chez eux. Il appartient donc bel et bien à la 'réforme' que le Deutérono­me propose, en rap­port avec la con­damnation des hauts-lieux et de leurs Dieux et images. Le Temple manifeste de façon très visible la 'présence' de cet Yahvé de l'alliance de l'Horeb au sein du pays d'Israël. Mais par là aussi il 'casse' la clôture des réseaux de maisons autour des sanctuaires ré­gionaux, de ce que j'appellerai dorénavant clôture-sanctuaire[4]: à plu­sieurs reprises, le droit signale que les Is­raélites devront faire le voyage au Temple, souvent en venant de loin (12,21-26, 14,24), de même qu'il change les traditions concer­nant le sacrifice des ani­maux à consommer (que l'on peut doréna­vant manger sans les faire sacrifier d'abord, à l'exception des pre­miers-nés), comme de la dîme de froment, vin et huile, qu'il faut apporter au Temple (12,15-27), auquel tous les mâles devront venir trois fois par an, pour les fêtes principales (liées aux saisons agrico­les). Car là est, par rapport à la clôture-sanctuaire des mai­sons, la 'nouvel­le économie de la béné­diction': "aucun ne se pré­sentera les mains vides devant Yahvé; mais chacun donnera, à la mesure de la bé­nédiction que Yahvé ton Dieu t'aura donnée" (16,16-17).
11. Or, d'autre part, ce lieu choisi étant le Temple de Jérusa­lem bâti par Salomon (à l'époque du Deutéronome, le Royaume du Nord a déjà disparu), cette réforme a comme matrice la monar­chie de Juda[5]: il ne s'agit pas seulement d'une réforme religieuse et cul­tuelle, mais aussi d'une réforme politique, d'une ré­forme globale où toutes ces dimensions sont liées. Ceci me semble con­tredire les lec­tures exégétiques qui ont prétendu voir, soit dans le Deutéronome et dans les livres deutéronomistes (Js à 2 Rs), soit dans les Prophè­tes, une 'critique' de la monarchie: il n'y aurait que des critiques des rois et de leurs conduites, pas du ré­gime monar­chique, ce qui serait, me semble-t-il, un anachro­nisme historique[6].
12. Une autre portée de cette réforme concerne le statut des prêtres lévites, du personnel des sanctuaires locaux à faire dispa­raî­tre: plusieurs dispositions sont prises en ordre à leur soutien, puis­que ce sont des professionnels qui n'ont point de terre ni d'activité économique (le lévite "n'a ni part ni héritage avec vous", 12,12) et dépendaient des dons offerts à ces sanctuaires. Elle re­vient soit au patrimoine du Temple et aux dons qu'y sont faits (18,1-8), soit aux maisons des Israélites (12,12,18,19, 14,27), no­tamment la dîme triennale (14,28-29, 26,12-13), le lévite figurant en tête de la liste des pauvres, avec "l'étranger, la veuve et l'orphelin" (ibidem et 16,11 et 14), c’est-à-dire ceux qui n'ont point de maison.

Le roi et le prophète
13. Après diverses lois concernant les sacrifices, les ani­maux purs et impurs, l'année sabbatique et les grandes fêtes an­nuelles (chap. 12 et 14-16), les deux derniers chapitres du pre­mier en­semble du droit de Moab concernent l'institution des ju­ges et scri­bes[7], des prêtres lévites, des rois et des prophètes. Pour ce qui est du roi, le texte tient compte de la lecture deutéro­nomique de la royauté dans les livres de Samuel et des Rois. Le peuple peut en prendre l'initiative mais c'est Yahvé qui le désig­nera et il doit gou­verner selon sa loi[8], il ne doit pas avoir trop de chevaux, de fem­mes, d'or et d'argent, c’est-à-dire que il doit avoir des limites à sa cour, ne pas s'élever trop au-dessus de ses frères (voir 1 Sam 8,11-18). Pour cela il doit observer cette loi, l'écrire et la lire chaque jour: les prêtres lévites la lui dicteront, mais ni eux ni les prophètes n'ont point de juridiction sur lui. Il sera 'ju­gé' par sa conduite de fi­délité, condition de "longs jours sur le trône en Israël" (18,20).
14. À deux reprises ce texte de droit parle des prophètes. La première fois (13) c'est dans le contexte du refus des "autres Dieux" et trois classes de gens peuvent entraîner ses compatriotes israéli­tes à leur suite et tous doivent mourir: en ordre inverse, des "fils de Bélial" ou des "vauriens" (B.J. et TOB), des parents ou des proches et, pour commencer, des "prophètes ou faiseurs de songes" (13,2). Ces derniers, qui nous intéressent ici, sont aussi tenus en compte, pa­raît-il, en 18,9-14, dans l'introduction à l'institution du prophé­tisme: au lieu des songes[9], on y parle des diverses pratiques sa­crées des sociétés de l'époque, passer ses enfants par le feu, inter­rogation des oracles (TOB), incantation, magie, enchantements et charmes, invocation de spectres, d'es­prits ou de morts, tout cela étant refusé comme "abomination". On est tenté de lire ici une déci­sion, par le droit de Moab, non seule­ment entre les prophètes qui parlent au nom de Yahvé et les prophètes de "ces nations-là" (18,9 et 14), mais peut-être aussi entre les prophètes de la tradition à la­quelle le Deutéronome se réfère et les prophètes du passé israélite, comme étant ceux avec qui les prophètes de Yahvé se battent en­core (et se battront aussi Jérémie et Ézéchiel), comme semble l'indiquer le contexte de ces deux chapitres sur le discernement des 'vrais' et des 'faux' pro­phètes (à ceci près que le critère de 18,21-22 sem­ble contredire 13,2-3): l'obéissance à la loi (13,5) et l'accomplissement de sa pa­role prophétique (18,21-22). Il s'agirait donc, là aussi, de la sépa­ration de Yahvé.
15. Or, toutes ces pratiques sacrées refusées appartiennent à la clôture-sanctuaire des maisons, comme les autels locaux et leurs images divines: avec les règles héritées des ancêtres et leur art d'agriculteurs et de bergers, ils sont la partie sacrée des re­cours habituels pour avoir la bénédiction des maisons. Cependant ces au­tels et images sont essentiellement locaux ou régionaux, et en cela assurent une sorte de clôture de l'économie de la béné(malé)­diction, qui résiste à l'espace unifié de la monarchie davidique: la centralisation du Temple prônée par ce droit s'y op­pose résolu­ment. Ces autels et images ont quelque chose de com­mun avec les pratiques sacrées ici abominées: ceux qui se mani­festent plus puissants en matière d'assurer la bénédiction des maisons attire­ront plus de dévots et de suiveurs, et il va de soi que, dans une société où des peuples à traditions diverses sont plus ou moins mélangés, il ne saurait avoir de frontière ethnique limitant ces attractions. La monarchie ayant entraîné un dévelop­pement du commerce et des rapports avec des peuples étrangers, il semble donc que le pullulement de ces lieux cultuels ne pouvait que se développer lui aussi, et avec lui le mé­lange des critères de dis­cernement pour les pratiques et l'obtention de la bénédic­tion[10]. C'est là justement le problème des prophètes dans l'hori­zon de la catastrophe politique menaçante. Le Deutéronome doit donc tran­cher ici aussi: et ce sera par la peine de mort. Mais la question du nouveau critère de discernement se po­sera dans l'avenir. C'est à quoi répond l'institution du prophétisme: "Yahvé ton Dieu, dit Moïse, suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi, que vous écouterez" (18,15). Certes, ce mot 'institution' est-il ambigu: il ne s'agit pas d'une institution passant de père en fils (comme la royauté et la prêtri­se), ni de gens constitués par le peuple (comme les juges), car c'est Yahvé lui-même qui les suscitera (on pense aux admirables récits de voca­tion de prophètes, 1 Sam 3, Is 6, Jr 1, Ez 1-3). C'est une institution au sens où cela semble supposer qu'il en aura du moins un à cha­que génération, elle relève donc d'une promesse. Qu'elle est de taille, c'est ce qui est montré par la séquence qui rattache cette promesse à sa vocation à lui, Moïse, à l'Horeb, comme intermé­diaire entre le feu et la voix de Yahvé et le peuple qui craint de mourir et qui fait parler Yahvé lui-même, avec son "je" (seule fois dans tout le discours[11], à part le récit initial de l'Horeb), entéri­nant à nouveau la peur du peuple: "Ils ont bien parlé. Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un pro­phète semblable à toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui commanderai..." (18,17-18). C'est donc la séparation de Yahvé qui entraîne ici le prophé­tisme en tant que séparé du peuple, comme elle a déjà entraîné Moïse et la loi. Ce qui me semble confirmer ma proposition de lecture: ce sont les prophè­tes qui ont annoncé le Jugement de Yahvé sur Israël, c'est leur ex­­rience de la séparation de Yahvé (qui leur fait dire une parole de malédiction sur le peuple, les ar­rachant à l'institution bénédic­trice du prophétisme) qui a pré­paré, qui a poussé l'auteur ano­nyme du Deutéronome dans sa prodigieuse fiction. Ces pro­phètes ne pou­vaient y manquer.

La guerre sainte
16. C'est peut-être le commandement le plus dur à com­pren­dre à nos yeux et oreilles modernes: celui qui con­cerne la guerre à faire pour entrer dans le pays que Yahvé donne. On peut sans doute penser qu'à la fin de la monarchie il s'agirait d'une 'uto­pie radicale', mais il ne faut pas oublier que le texte est plus ou moins contemporain du déclin d'Assur (§ 24n.), dont Juda a été le vassal plus d'une centaine d'années et que Josias a récupéré mili­tai­rement une partie du vieux royaume de David, avant de mou­rir lui-même au combat. Mais notre difficulté résulte justement de l'op­position, dans nos codes occidentaux, entre celui du don et celui de la guerre, difficulté de comprendre que la guerre puisse être com­prise comme don, comme guerre sainte, difficulté qui semble pro­che de celle de comprendre que la guerre est intrinsè­que aux socié­tés monarchi­ques, comme l'on a souligné au chapitre 4, qu'elle n'y est pas vue comme un 'mal'. En tout cas, il s'agit ici d'une 'théologie radicale' au sens des prophètes et de leur dia­g­nostique sur l'une des principales 'causes' de tous les maux d'Is­raël: les mélanges, et ceux des rois fai­sant des alliances avec d'autres rois, se mariant avec leurs filles et faisant importer leurs cultes, et ceux des pères de maison israélites "se prostituant" avec des Dieux étrangers. Le chapitre 7 est net: sept nations plus puis­santes qu'Israël seront battues par lui et devront être annihilées sans grâce, sans alliance, sans mariage avec ses fil­les (cf. 6. 44-45). Et le chapi­tre 20 ren­chérit: "...tu n'en laisseras rien subsister de vivant" (v.16)[12]. Par contre, les villes plus éloignées, qui ne font pas partie du pays promis par Yahvé, peuvent être objet d'alliance (elles deviendront des vassaux d'Israël) si elles acceptent la paix, au cas contraire 'seuls' les mâles seront tués, leurs femmes, filles et bétail devenant le butin des Israélites.
17. Avec cette loi sans merci contraste une théologie de la fa­çon de conduire la guerre. C'est toujours la même règle de la sépa­ration de Yahvé, maintenant par rapport à l'art guerrier et à ses moyens. En 7,7sv, c'est la force que Yahvé a déjà manifesté en fai­sant Israël sortir d'Égypte qui jouera à nouveau, la manifes­ta­tion de cette force exigeant la moindre puissance guerrière d'Is­raël lui-même[13]; ce qui sera explicité au chap. 20 par une clause excluant de l'armée tous ceux qui ont maison, vigne ou femme neuves, et puis aussi ceux qui auront peur, pour ne pas contami­ner le courage de ses frères (cf. aussi Jg 7,3). Qu'un peuple faible puisse vaincre un autre plus puis­sant, c'est la manifestation de la force de son Dieu par rapport au(x) Dieu(x) du vaincu. Pour celui-ci, mais pour Is­raël aussi: "Garde-toi de dire en ton cœur: 'c'est ma force, c'est la vigueur de ma main qui m'ont procuré ce pouvoir'. Souviens-toi de Yahvé ton Dieu: c'est lui qui t'a donné cette force, qui t'a pro­curé ce pou­voir, gardant ainsi, comme aujourd'hui, l'alliance jurée à tes pères" (8,17-18). L'histoire de David, dont l'épisode de Go­liath est l'emblè­me, est racontée dans ce para­digme théologi­que (1 Sam 17,45)[14].

"Qu'il n'y ait pas de pauvre chez toi"
18. Dans le pre­mier pan du droit de Moab, on relève deux prescriptions générales de correction structurale, pour ainsi dire, de la violence d'appropriation des plus riches et forts, des plus 'bénis', sur les plus pauvres et démunis, les moins 'bénis'. Elles instaurent des délais de trois et sept ans respectivement. La première (14,28-29) oblige toute maison à déposer à sa porte, tous les trois ans, la dîme de ses récoltes (le dixième de la pro­duction agricole) pour "le lévite, l'étranger, l'orphelin et la veuve" de sa ville, "et ils s'en rassasie­ront". La deuxième crée une année de "remise des dettes" (TOB) tous les sept ans: des gages de prêts (sauf à des étrangers) (15,2-6), de l'esclave hébreu (le pauvre endetté et insolvable qui a dû se vendre) qui partira les mains pleines ("selon que t'aura béni Yahvé ton Dieu, tu lui donneras", 15,14) et "Yahvé ton Dieu te bénira en toutes tes actions" (15,18). Entre ces deux prescriptions, une autre prévient le risque de ne pas prêter à celui qui en a besoin la veille de cette année sabba­tique (15,7-12). La consigne générale, qui a l'air de résumer toute la portée de la prédication 'sociale' des pro­phètes[15], est ainsi rédi­gée: "Qu'il n'y ait donc pas de pauvre chez toi. Car Yahvé ne t'accordera sa bénédiction dans le pays que Yahvé ton Dieu te donne en héritage que si tu écoutes vraiment la voix de Yahvé ton Dieu, en gardant et pratiquant intégralement ces com­mande­ments que je te prescris aujourd'hui" (15,4). Là encore la bé­­diction est soustraite à la clôture-sanctuaire des maisons pour être rattachée à Yahvé seul et à l'ensemble du pays, tout en main­tenant sa logique: donner du don reçu à celui qui en man­que, la circulation du don-bénédiction entre les maisons de façon à qu'il n'y ait pas de pauvre faisant la force même du tissu social, étant le gage de la bénédiction elle-même (voir Belo, 1974, pp.72sv).
19. Dans la partie du droit commun, un certain nombre de mesures détaillent ces lois générales. Hospitalité aux esclaves en fuite (23,16-17), pas de prêt à intérêt au compatriote (si, à l'étranger[16]) (23,20-21), liberté aux pauvres de cueillir des rai­sins et des épis des vignes et moissons du voisin, à satiété mais sur place (23,25-26), respect des gages, notamment des pauvres (24,10-13) et de leur salaire (24,14-15), du droit de l'étranger et de la veuve (24,17), enfin laisser des restes des moissons, gaula­ges et vendanges pour les pauvres habituels, l'étranger, l'orphelin et la veuve (24,19-21). De même, ce droit commun détaille nom­bre d'autres prescriptions concernant l'homicide, le témoignage, l'adultère, l'impureté, le droit d'aînesse, les fils désobéissants, et ainsi de suite.

Le pays donné et la bénédiction
20. Venons maintenant à la double conclusion dans les chap. 26 et 28. Si l'on omet pour l'instant 26,16-19, on trouve deux fres­ques, toujours au futur, liant le pays que Yahvé donne à Is­raël et à sa bénédiction. La première (26,1-15) met en scène un Israélite béni (tous les pères de maison en Israël): dans ce pays donné, de "tous les produits du sol que tu auras fait pousser" les prémices se­ront apportées "au lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire habi­ter son nom", et un récit évoquera la théologie de ce don du pays à la suite de la libération d'Égypte, se terminant par la reconnais­sance: "voici que j'apporte maintenant les prémices des produits de la terre que tu m'as donnée, Yahvé". Déposition, par le prêtre, et prosternation devant l'autel, "puis tu te réjouiras de toutes les bon­nes choses dont Yahvé t'a gratifié, toi et ta mai­son". C'est le portrait deutéronomiste de la maison heureuse de l'Israélite. Un rajout rap­pelle le lévite et l'étranger, la dîme qui leur est due et aux veuves et orphelins, le refus de certaines pra­tiques religieuses énigmati­ques (en rapport peut-être avec le culte des ancêtres) et reprend le portrait de l'autre côté, disons, de l'alliance: "J'ai obéi à la voix de Yahvé et j'ai agi selon tout ce que tu m'avais commandé". Les ver­sets suivants, auxquels on reviendra, pourront donc évoquer les deux partenaires de l'al­liance.
21. L'autre volet de la conclusion de ce grand discours - il faut, bien sûr, pour accéder au caractère fondateur de ce texte, le lire sans tout ce qui lui a été rajouté, le prendre dans son unité - contraste avec le premier en ce qu'il ne s'agit plus seulement de la bénédiction, mais de l'opposition de celle-ci avec la malédic­tion, d'ailleurs bien plus détaillée (une cinquantaine de versets contre la quinzaine pour la bénédiction). Le texte de ce chap. 28 nous est déjà familier, car c'est de lui que nous sommes partis pour décrire la maison du père et la maison d'Israël (3.6, 4.4). Mais là on avait suspendu la mention de Yahvé: notre souci était de lier, autour de l'opposition bénédiction/malédiction, les diver­ses pratiques et croyances de la société d'Israël, composant ce qui a été interprété par le recours au Quadriparti heideggérien. Tout en maintenant ce qu'il y a de conjecture dans cette proposition, si l'on a accepté sa vraisemblance théorique, on dira que ce chapitre a effacé la diversité des dons, gommé les sour­ces multiples de cette béné(malé)diction, en rattachant tous ses effets au seul Yahvé, c’est-à-dire encore, ­paré. Et du coup, la bénédiction et la malédiction elles-mêmes, dont on avait essayé de dire l'indéci­dabilité (ce que l'on a écrit béné(malé)diction), sont posées en op­position, avec cette consé­quence inouïe (au regard de la concep­tion supposée du croyant is­raélite) que la malédiction est-elle aussi le fait du Dieu (et qu'il ne s'agit donc plus du Dieu de l'ancê­tre), lequel Dieu n'est plus seule­ment la source du don de la vie, mais aussi de la mort (dans la tradi­tion mythique antérieure, la malédiction arrivée supposerait soit l'éloignement du Dieu qui bénit, du Dieu de l'ancêtre, soit sa dé­faite vis-à-vis d'un autre Dieu plus fort que lui).
22. Cette séparation entre bénédiction et malédiction (que le père de la maison doit es­­rer) dépend de quoi, selon ce dis­cours? De l'obéissance à la Loi, celle de l'Horeb comme celle de Moab. Il s'agit d'une loi, d'un droit entre les maisons, qui ne tient pas compte, à peu de choses près, du système de la souillure (dans ce discours de Moab: les animaux purs et impurs - 14,3-21 - c'est presque la seule pièce retenue), que le document P déve­loppera surtout dans le livre du Lévitique (voir Belo, 1974, 63-71). Ni non plus de tout le côté art du berger et du jardi­nier qui me semble essentiel dans l'économie que j'ai évoquée. Par exem­ple, peut-être que l'on ne forcera le texte en y lisant que l'on peut bâtir une maison, planter une vigne, élever un bœuf, un âne et des brebis (28,30-31) 'avant' la décision bénédiction / malédiction, celle-ci venant d'ailleurs que de la sagesse éventuelle dans cet art appris des ancêtres. Si j'ai raison, ce qui se sépare ainsi ce sont les pratiques pour ainsi dire 'internes' à l'économie de la maison, ce que l'on appelle le travail et ses diverses techniques, et celles qui se rapportent aux autres maisons voisines, la 'justice sociale'. Or, la grande scène de l'alliance présuppose d'elle-même cette sépa­ration, car justement, on en avait déjà fait référence, les pères de maison sont rassemblés de­vant Moïse en dehors du pays, avant d'y entrer, ils ne travaillent donc pas[17]. Le texte lui-même le dit, en évoquant la traversée du désert pendant 40 ans, "afin de t'hu­milier, de t'éprouver et de con­naître le fonds de ton cœur: al­lais-tu ou non garder ses commande­ments? Il t'a humilié, il t'a fait sentir la faim, il t'a donné à manger la manne que ni toi ni tes pè­res n'aviez connue, pour te montrer que l'homme ne vit pas seu­lement de pain, mais que l'homme vit de tout ce qui sort de la bouche de Yahvé. Le vêtement que tu portais ne s'est pas usé et ton pied n'as pas enflé, au cours de ses quarante ans. Comprends donc que Yahvé ton Dieu te corrigeait comme un père corrige son enfant..." (8,2-5). Ces pères de maison, dans le dé­sert et encore à Moab, ce ne sont pas des gens qui ont appris de leurs ancêtres à travailler pour avoir la bénédiction de leurs maisons, mais ce sont des enfants qui apprennent du seul Dieu les lois qu'ils devront sui­vre quand ils seront adultes. La scène de l'alliance fait abstraction du pays, réduit la sol des maisons et le travail qu'y fait le père de famille. C'est, semble-t-il, la condition fondamentale pour toutes les au­tres séparations que l'on a souligné dans la lecture de ce discours: on ne peut séparer Yahvé de toute l'économie de la maison en régime de clôture-sanctuaire qu'en y soustrayant la terre elle-même, le pays, qui perd sa fécondité et ne garde que le statut d'un objet promis. Or, cette promesse est essentielle à la structure de l'alliance, en tant que portant un engagement sur l'avenir de la part des deux par­tenaires: le gage du plus fort des deux est justement le don du pays comme lui appartenant, au seul Seigneur de la béné­dic­tion.

L'alliance comme scène-fiction ou pensée
23. "Telles sont les paroles de l'alliance que Yahvé prescrivit à Moïse de conclure avec les enfants d'Israël au pays de Moab, outre l'alliance qu'il avait conclue avec eux à l'Horeb" (28,69), c'est la conclusion du discours, répondant au début: "Voici les pa­roles que Moïse adressa à tout Israël au delà du Jourdain, au pays de Moab. Moïse convoqua tout Israël et leur dit: Écoute, Israël, les lois et les coutumes que je prononce à vos oreilles. Apprenez-les et gardez-les pour les mettre en pratique. Yahvé notre Dieu a conclu avec nous une alliance à l'Horeb. Ce n'est pas avec nos pè­res que Yahvé a con­clu cette alliance mais avec nous, nous-mê­mes qui sommes ici au­jourd'hui tous vivants" (1,1,5, 5,1-3). Sur la scène il y a: Moïse, le tout Israël et les paroles de Yahvé dites par la bouche du premier. Les paroles, c'est la Loi que l'on a essayé d'analyser dans ses gran­des lignes. "Au delà du Jourdain, dans le pays de Moab": à l'étran­ger, hors du pays. Celui-ci y est aussi, pas dans la scène, mais dans les paroles, comme enjeu de l'alliance. Les deux partenaires, Moïse et Israël, sont mortels: l'un sera remplacé par le prophète suscité par Yahvé, l'autre se succédera de génération en génération, l'ap­prentissage de la loi aux enfants étant essentiel parmi les obli­ga­tions de chaque père de famille (6,20-25, voir l'ajout 6,4sv qui y revient avec le solennel "Écoute, Israël!"), l'écriture de la loi devant être inscrite dans les poteaux et les portes de chaque maison (11,1-21). Le "nous-mêmes qui sommes ici aujourd'hui tous vivants" du début (5,3) - et donc aussi le "vous" et le "tu" du destinataire de tout le discours - ren­voie - dans la lettre du récit - à ceux qui étaient au pays de Moab, distingués de “nos pères” “à l'Horeb”; mais en même temps, cette distinction des deux scènes dans le récit ren­voie directement tout aussi bien - au niveau de sa narration - à ses premiers auditeurs historiques, “ici aujourd'hui tous vivants" au temps de Josias; et de même il concernera plus tard tous ceux qui, toujours “ici aujourd'hui tous vivants", écouteront la lecture rituelle tous les 7 ans (31,9-13). Voilà donc la fabuleuse fiction du deutéro­no­miste[18], d'un prophète qui marque bien sa place dans son dis­cours, mais doit rester anonyme de par la force même de sa fiction: "je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai" (18,18), ce « je » étant celui de Yahvé lui-même (§ 15). Ici est dite la 'vérité' de l'écriture de ce texte: son auteur-prophète ne transcrit pas les paroles que Yahvé a trans­mis à Moïse, il est lui-même, tel Moïse qu’il remplace, le porte-parole de Yahvé; cette 'vérité' est toutefois inversée dans la scène deutéro­nomiste, où c'est Moïse qui dit tout ce que le prophète-écrivain écrit, dans un anonymat qui est la condition même de la réussite de la scène, jus­qu'aujourd'hui. C'est ce qu'on appelle fiction.
24. Un prophète de la seconde moitié du 8e siècle, an­ti­ci­pant la catastrophe imminente, nourri des paroles de ses de­van­ciers, es­comptant (peut-être) sur la justice du nouveau roi de Juda, Josias, dessine donc cette scène, compose ce discours. L'idée de l'alliance, nombreux exégètes en sont d'accord, relève de la politi­que interna­tionale des monarchies en guerre entre elles. C'est sig­nalé, si l'on peut dire, en 20,10-11: "Lorsque tu t'appro­cheras d'une ville pour l'attaquer, tu lui proposeras la paix. Si elle accepte et t'ouvre ses portes, tout le peuple qui s'y trouve te de­vra la corvée et le travail". Juda en a fait l'expérience avec Assur. L'alliance n'est pas un con­trat de coopération entre des égaux, comme le peut être une al­liance entre deux maisons dont le fils de l'une se marie avec la fille de l'autre. C'est un 'contrat', si l'on veut, mais entre suzerain et vas­sal, auquel celui-ci ne peut échapper sous peine de mort (voir la suite en 20,12-14: "mais si elle refuse la paix et ouvre les hostili­tés, tu l'assiégeras..."). Le su­zerain est garant de la sécurité, de la paix du vassal, face à d'au­tres nations; celui-ci lui doit de la corvée, du tri­but; tant que c'est rendu, il aura la paix; s'il cesse de payer le tri­but, de faire la cor­vée, il sera puni. Les spécialistes nous par­lent des traités hittites d'alliance conservés: "...des traités entre grande et moindre puis­sance; leur trait essentiel est que le rappel des bien­faits du suze­rain, collationné en forme de récit, précède et fonde l'obligation énoncée en forme de loi pour le vassal: le don y précède la loi; le vassal peut compter sur la même gracieu­seté s'il est fidèle, mais doit craindre le châtiment s'il cesse de l'être"[19]. La structure est donc, pour l'es­sentiel, la même; souvent c'est un messager du suze­rain, un intermédiaire comme Moïse, qui est le porteur de sa vo­lonté. Sauf qu’ici - et c’est toute la différence, la pensée de la séparation elle-même - c’est Yahvé qui est le souverain de par son intervention puissante en Égypte pour li­bérer Israël de la servitude[20] - le texte le rappelle tout le temps, ce don 'légitime' Yahvé comme celui qui prend l'initiative de l'al­liance, comme "guerrier", on l'a vu (4. 8) - il com­mande donc, et c'est la seconde fresque (26,16-19) annoncée au § 20: "Yahvé te commande au­jourd'hui de pratiquer ces lois et ces coutumes; tu les garderas et les pratiqueras de tout ton cœur et de toute ton âme". Il s'ensuit la déclaration que les deux parties ont ac­cepté: "Tu as obte­nu de Yahvé aujourd'hui cette déclaration, qu'il serait ton Dieu [...]. Et Yahvé a obtenu de toi cette déclaration, que tu se­rais son peuple propre, comme il te l'a dit [...]". Et les deux fres­ques de conclusion posent la même et seule condition: "Mais à la condition que tu mar­ches dans ses voies, que tu gardes ses lois, ses commande­ments et ses coutumes et que tu écoutes sa voix". Enfin, la pro­messe de celui qui commande, au futur[21]: "il t'élèvera alors au-dessus de toutes les nations qu'il a faites, en honneur, en renom et en gloire, et tu seras un peuple consacré à Yahvé, ainsi qu'il te l'a dit": c'est la bénédic­tion. Or, parmi les prophètes du 7e siècle qui nous connaissons, an­térieurs à l'auteur du Deutéronome, seul Osée parle d'alliance ("....car ils ont transgressé mon alliance et se sont révoltés contre ma loi", 8,1). Il semble donc qu'il faille attri­buer l'invention de cette fiction, en s'inspirant pro­bablement de cette pa­role d'Osée, à la pen­sée de l'auteur de notre texte[22], qu’il faille voir en lui un penseur de l’envergure d’un Platon rédigeant la Politeia (8. 25). S’il y a des écritures décisives en histoire, ces deux textes ont destiné l’Occident.

Le mono-théisme
25. Reprenons une vue générale du contenu de la loi: deux choses y sont à souligner. D'une part, le droit comme faisant équili­brer le tissu des maisons ("qu'il n'y ait donc de pauvre chez toi" (15,4)[23], y compris celle du roi, obligé de lire la loi tous les jours; d'autre part, la centralisation du culte au Temple de Jérusa­lem, au Temple du monarque. Paradigme de la monarchie, ai-je dit plus haut: mono-archie, mono-temple. Mono-théos, aussi[24]. La question est posée par les sanctuaires locaux et leur cassure, celle des clôtu­res-sanctuaire des maisons. Prenons l'exemple des sanc­tuaires ca­tholiques dédiés à la Vierge-Marie, Guadeloupe, Lourdes, Fatima et d'autres, ou bien des saints pa­trons de chaque église loca­le ou ré­gionale et des rivalités entre les populations respectives, chacune revendiquant 'sa' Notre Dame, 'son' saint, comme plus puis­sant en ses miracles, voire comme garant de sa victoire contre les ennemis catholiques eux aussi, St. Georges menant les Portugais contre St. Jacques du côté des Castillains. En dehors d'une instance supra-loca­le qui se fasse effecti­vement entendre par ces popula­tions, on peut très bien avoir là une sorte d'équivalent pour 'la cau­se' prophétique contre les hauts-lieux, même si souvent ils étaient des sanctuaires dédiés à Yahvé. S'ils disparaissent, il deviendra évi­dent pour tout le monde que, s'il n'y a qu'un seul sanctuaire, il n'y a qu'un seul Yahvé. C'est, il me semble, l'un des gros objectifs de la réforme deutéronomiste, autant religieuse que politique: elle re­double le lien social monarchique (4.6 et 16) par celui du culte (qui, comme la langue, pénètre en chaque maison) et de la Loi (dont l'ob­ser­vance par tous les pères de maisons doit garantir le tissu social). Tout ce que j'ai souligné concernant la séparation de Yahvé en con­traste avec les clôtures-sanctuaire, si c'est accepta­ble, ce sont des traits contribuant à ce mono-théisme[25]. Notre difficulté dans cette af­faire, c'est que nous le connaissons, ce mo­nothéisme, de­puis tou­jours, la Bible ne parle que de ça. Mais si elle insiste au­tant sur ce qui nous semble une évidence, n'est-ce peut-être pas l'indice que son écritu­re travaillait à la susciter?
         26. Pourquoi avoir découpé le discours comme je l'ai fait, sans au­torité exégétique à l'appui, contre, par exemple, la pro­position de M. Rose (1986), l'un des plus avancés dans le travail de la nouvelle critique du Pentateuque, et d'autres qui préten­dent qu'il s'agit d'un texte de l'exil ou de l'après-exil? On viendra, dans le chapitre sui­vant, sur les altérations théologiques surve­nues avec celui-ci, et qui donc m'ont mené au sectionnement du texte reçu. Ce dont il s'agit ici, c'est de plaider la cause de l'écri­ture de ce grand discours avant l'exil et lié à la réforme de Josias. C'est tout simple: est-il facile de concevoir un exilé, un survivant de la ca­tastrophe, en train d'élabo­rer cette fabuleuse scène dis­cursive? Peut-on concevoir la véhé­mence, le souffle ex­traordinai­re de tout ce discours tourné vers le futur, haletant à chaque loi, à chaque exhortation[26], se reprenant dans ses repè­res décisifs pour se relancer, sans que ce soit le fait d'un réforma­teur pressé par l'imminence de la catastrophe? Moi, je ne le peux pas. Il y va de mon idée même de l'écriture comme com­position.



[1] Ce fils sera père de maison à son tour: la morale du Deutéronome est bien une morale de maison, inscrite d'ailleurs dans le Décalogue lui-même: "Car moi, Yahvé ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis la faute des pè­res sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants, pour ceux qui me haïssent, mais qui fait grâce à des milliers, pour ceux qui m'aiment et gardent mes commandements" (5,9-10); une morale de maison qui ne s’adresse qu’au seul père, que le ‘tu’ désigne: pas son fils, sa fille, son serviteur, sa servante (v. 14), ni sa femme non plus (v. 21). Il faut donc, semble-t-il, regarder 24,16, dé­fendant une morale de la responsabilité personnelle, comme un ajout pos­­rieur (6. 16).
[2] Le Tractatus theologico-politicus de Spinoza, de 1665, est, comme on sait, le texte fondateur de la critique historique de la Bible, sans doute de par la très singulière multiplication de marginalités qui se jouent dans son écriture: philosophe qui travaille à part, de ses mains, d’origine juive (avant le XIXe siècle, il est le seul), donc connaissance de l’hébreu dans son éducation, donc marginalité biblique par rapport aux chrétiens majoritaires, puis excommu­nication de la synagogue, laquelle, créée par les rescapés du Portugal, était, elle aussi, marginale à Amsterdam, ville à son tour exceptio­nelle en Europe du point de vue de la politique tolérante vis-à-vis de la liberté de pensée. Quelle n’a pas été ma joie quand, dans un séminaire autour de ce texte, une étudiante qui a choisi de travailler le Tractatus m’apprend que Spinoza, qui considérait que les premiers dix livres de la Bible auraient été écrits par le même auteur (Esdras, suppose-t-il), pensait que celui-ci aurait d’abord écrit le livre du Deutéronome! “[...] Et je pense que ce livre fut le premier de tous ceux dont j’ai dit qu’il les avait écrits. Je le suppo­se parce que ce livre contient les lois de la nation dont le peuple a sur­tout be­soin, et aussi parce que ce livre ne se rattache pas au pré­cédent comme tous les autres, mais commence d’une ma­nière brusque: Voilà quelles sont les pa­roles de Moïse, etc. Après avoir achevé ce livre et enseigné les lois au peu­ple, je crois qu’il s’est appliqué à raconter l’histoire entière de la nation des Hé­breux depuis la création du monde jus­qu’à la suprême dévas­tation de la Ville, et dans cette histoire il inséra le livre du Deutéronome à sa place” (Spinoza, Œuvres complè­tes, version Madeleine Francès, ed. Pléiade, pp. 746-7). Spinoza argumente aussi que ce ‘seul auteur’ est plutôt un compilateur qui “[...] n’a fait autre chose que réunir des récits pris dans di­vers écrivains, que parfois il s’est borné à les copier et les a ainsi transmis à la postérité sans les avoir examiné ni mis en ordre.” (p. 747). Sans doute que les arguments de Spinoza sont autres que ceux de l’exé­gèse actuel­le, mais ce motif de pensée politi­que qui le fait tenir que l’Écriture ait com­mencé par cette fresque du droit ne serait pas très éloigné du parallèle à ve­nir d’avec la Politeia de Platon (8. 22-25, 9. 20).
[3] En traversant le désert par le Sud (par Éilath, sur la pointe du golfe d'Aqaba) et en passant par le côté Est du Jourdain, après avoir longé la Mer Morte (où le pays de Moab): c'est en gros la trajectoire indiquée dans le pre­mier discours du Dt, 1-3.
[4] Multiple dans sa façon d’accueillir la donation, de la Terre et du Ciel, des Autres, des Ancêtres et des Dieux, multiple donc dans le fonctionnement de son anthropologie, mais close par rapport aux autres régions à sanctuaire. La réforme deutéronomiste envisage l’unification religieuse de l’espace monar­chique.
[5] Avant la réforme de Josias, le Temple de Jérusalem n'était que le sanc­tuaire royal, de la maison du roi, à côté des autres sanctuaires locaux; ses prêtres étaient des fonctionnaires royaux (voir G.von Rad, Théologie de l'Ancien Testament, vol. I, Labor et Fides, 1963, p.47).
[6] Sceptique sur cette affirmation, F. Gonçalves cite Jg 9,7-15, 1 Sm 8,5-22 (voir la note au § 13), 12,12-19.
[7] Ceux des villes pour des délits habituels ("tu ne porteras pas atteinte au droit, tu ne feras pas acception de personne et tu n'accepteras pas de pré­sent, car le présent aveugle les yeux des sages et compromet la cause des justes", 16,19: contre la corruption) et ceux du "lieu choisi par Yahvé" pour les causes plus graves et difficiles - tribunal suprême dont les décisions fe­ront juris­prudence (plus tard le Sanhédrin), l'une des mesures qui accom­pagnent la centralisation du culte (TOB, en note à 17,8).
[8] Est retenue la théologie de 1 Sm 8-11, favorable à la demande du peuple d'avoir "un roi comme toutes les nations" (l'expression est parallèle de celle de 1 Sm 8,6), et il devra suivre la loi (6. 8-9). Remarquons qu'il n'y a au­cune loi con­cernant les rois dans Exode, Lévitique ou Nombres.
[9] Dans Nb 12,6-8, il y a aussi un contraste entre un prophète qui reçoit vi­sion ou songe de Yahvé et Moïse lui-même, mais ce prophète-là est re­gardé de façon positive.
[10] C'est un peu, mutatis mutandis, comme le développement des Sophistes dans l'Athènes de Socrate et de Platon (voir note à 4. 18 et 6. 45).
[11] Sauf l'énigmatique 11,14-15.
[12] Jos 7 raconte le châtiment terrible d'un violateur de cet anathème; Jg 1 tire la leçon deutéronomique sur la fin d'Israël du Nord (ils n'ont pas chassé les peuples du pays, au contraire de Juda), tout en atténuant en 3,1-6 (c'est Yahvé lui-même qui les a laissé subsister pour mettre son peuple à l'épreuve); mais même David laisse subsister à Jérusalem les Jubéséens (2 Sm 5,6-8), restés en vie dès Jg 1,21, malgré que ce soit l'une des 7 nations maudi­tes.
[13] Les vv. 22-23 atténuent curieusement l'immédiateté de la destruction des villes, en précisant que cela se fera peu à peu, par des troubles qui leur sur­viendront (sans anathème!).
[14] Voir note à 4.9 concernant Débora de Jg 5 et sa théolo­gie de la guerre.
[15] Le système de ses prescriptions deutéronomiques a été décrit dans ma Lecture de Marc de jadis selon l'opposition entre don et dette.
[16] Soit dit au passage que cette loi anti-capitaliste, valable au Moyen Âge au­tant pour les Juifs que pour les Chrétiens, 'étrangers' entre eux, est pour beaucoup dans le rôle financier que les premiers, minoritaires, ont eu: ils pouvaient prêter à presque tout le monde, à l'envers des chrétiens. Elle fût aussi un obsta­cle au développement du capitalisme dans les pays catholi­ques, jusqu'à son abrogation par Benoît XIV, au XVIIIe siècle.
[17] Sauf dans l'élevage du bétail.
[18] C'est paradoxalement au 'wellhausien' Zenger que je dois l'idée de cette fiction: "La particularité la plus remarquable du 'Deutéronome primitif' (Dt 6-26) [sans 5, donc, il s'en explique à la note 26] est la 'fiction mosaï­que'. Or, il me paraît certain que ce 'Dt primitif' est préexilique, quelle que soit la façon dont on définit en détail son étendue textuelle. Moïse promul­gue une 'loi di­vine' dont le cadre théologique est l'État, resp. dont la pers­pective vise la vie future dans le pays. Pourtant il promulgue cette loi en dehors du pays. Ima­ginez-vous à titre de comparaison que la constitution suisse ou celle de la R.F.A. aient été promulguées aux Balkans ou dans le dé­sert du Sahara! Cette fiction mosaïque n'est rendue possible que sous la pression exercée par la tradition d'une théologie de l'histoire déjà 'quasi-canonique', telle que le 'Dt primitif' la résume en Dt 6, 26-23 d'une manière stéréotypée et programmati­que [...]" (de Pury, 1989, p. 309).
[19] P. Beauchamp, 1976, p. 66, avec bibliographie. Voir aussi "Les traités politiques d'alliance au Moyen Orient, d'après D. Mac Carthy", in Foi et Vie, Cahiers Bibliques nº 14, septembre 1975, pp.42-48. Je relève des conclusions: "Ainsi, les traités hittites de vassalité consti­tuent une technique d'administration impériale: l'ancien gouverneur est laissé sur son trône, mais son pouvoir ne résulte plus d'une succession légitime, il n'est dû qu'à la générosité du suzerain hittite. De ce fait, le prologue historique des traités hittites rappelle au vassal l'histoire qui vient de s'écouler: il s'agit en effet pour lui de comprendre l'histoire car elle est le fondement de la sagesse d'une soumission reconnaissante. Chez les Assyriens, où le roi tient son pou­voir des Dieux (et non d'une structure sociale féodale), le prologue est plus théologique qu'historique. S'il s'agit d'étendre la domination du Dieu national à l'univers, il s'agit d'établir aussi que la domination du roi, sujet comme ses vassaux du grand Dieu, se fait 'en vérité et en justice' (cf. les titres de Sinna­chérib - Annales, col. I, 11.4-6: il est "Berger...gardien de la vérité, celui qui aime la justice"). Alors le vassal pourra respecter les Dieux du suzerain et se soumettre à la domination de leur représentant" (p.48).
[20] "'La sortie d'Égypte' est dans la théologie deutéronomique l'acte de la prise en charge dans la souveraineté de YHWH. La conséquence logique et politi­que en est la berît [alliance] promulguée par YHWH qui accepte comme son peuple la 'troupe des esclaves libérés' (cf. Dt 26,17-19)" (E. Zen­ger, op. cit., pp.303-304). Dans l'Exode Yahvé est posé comme roi-guerrier, qui combat le Pharaon et non pas son Dieu. C’est ce qui permet de comprendre la “guerre sainte” des §§ 16-17.
[21] Le futur des verbes est de la TOB, BJ utilise le conditionnel. Il ne man­que ici, pour être complet, que la mention du don du pays.
[22] En effet, dans les vieilles traditions du Royaume du Nord, comme Osée lui-même, rapportées dans quelques citations 'mythiques' sur la sortie d'Égypte et l'entrée en Palestine, le Sinaï ou Horeb manque tou­jours.
[23] Une nuance de 'réalisme' sera ajoutée un peu plus loin: "certes, les pau­vres ne disparaîtront point de ce pays" (15,11), mais c'est une raison de plus pour lui "ouvrir ta main".
[24] À la rigueur, il s'agit, à ce stade, plutôt d'hénothéisme, un seul Dieu sans que les Dieux étrangers soient niés (Bottéro, 1992, p. 63; voir 7. 30). Je laisse la question (qui dépasse ma compétence) de savoir s'il y eût ou pas de poly­théisme en Israël jusqu'alors: c'est quand-même curieux que le nom courant de la Bible pour dire Dieu soit Élohim, le plu­riel de El (qu'on ne retrouve que dans Gn 33, 20 et 46, 3 et Nb 23, 22, 24, 4,8,16, ainsi que dans la formule sacer­dotale El-Shaddaï, Gn 17,1, 28, 3, etc.). Littéralement, le premier verset de la Bible devrait être traduit ainsi: "Au commencement Dieux créa le ciel et la terre". Mais Élohim manque dans le document yahviste, justement le plus ancien (note à 6. 36).
[25] Le Deutéronome étant le premier texte biblique composé, la séparation de Yahvé (en contraste avec ses 'présences' narratives, anthropomorphi­ques, comme on dit, dans les récits archaïques) se marque aussi dans son 'absence': il n'est 'présent' que dans les paroles de Moïse et dans le feu, les ténèbres, les nuées, la voix forte (voir 7. 30).
[26] La parole prophétique doit faire la bénédiction, mais cela passe et par le roi et par chaque père de maison, par leur "mise en pratique" des lois com­mandées, "de tout leur cœur, de toute leur nèfèsh, de toute leur force" (cet ap­pel au cœur revient une quinzaine de fois, il faudra y revenir nous aussi).
 

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